novembre 2008
Hypnose et Pensée Magique
Sous la direction d'Edouard Collot
©Éditions Imago
INTRODUCTION
Edouard Collot

Outil s’intégrant à une pratique, l’hypnose est une manifestation spontanée ou provoquée de l’esprit, un fait concret de la vie psychique. Mais le terme d’hypnose est propre à générer la confusion sur la nature de ce qui est une expérience psychique complexe, sans doute à cause de la représentation magique qu’il colporte. L’hypnose, ça me fait peur, me disait voici quelques jours une jeune soignante que je croisais quelques instants dans l’ascenseur du dispensaire ! Resté perplexe du fait de la brièveté de notre rencontre, je me pris à penser : que devrais-je lui dire pour lui donner une information plus juste ? 
En premier lieu qu’il s’agit d’une expérience qui se produit spontanément plusieurs fois par jour, à notre insu, parfaitement spontanément, sans l’intervention d’un opérateur. Dans toutes situations ou l’esprit est disponible, attente, cours ennuyeux, transport, conduite automobile, il se peu que survienne un processus dissociatif : je suis à la plage et pourtant dans la salle d’attente de mon médecin. Ma voisine m’a demandé l’heure et je n’avais rien entendu, ce qui l’a amusé. J’étais ici et ailleurs, dissocié. L’hypnose n’est pas l’état dissocié en soi, mais la partie absente à l’ici et maintenant. C’est à elle que le thérapeute s’adresse, c’est elle qui plonge dans les secrets d’un vaste inconscient, allant d’un presque conscient aux profondeurs du symbolisme. A qui douterait encore de l’existence d’une telle remarquable capacité, magique à vrais dire, j’ajouterais que cette partie ailleurs, l’hypnose, produit un ensemble de modifications neurophysiologiques suffisamment caractéristiques pour être aujourd’hui objectivée grâce à l’imagerie médicale, via une caméra à positrons.
Mais l’authentification neurophysiologique du phénomène, pour rassurante qu’elle soit, n’en explique pas pour autant les manifestations psychologiques. Le lecteur non averti, parcourant cet ouvrage, pourrait s’étonner de la multiplicité des applications de l’hypnose, au point de se demander : « mais qu’est-ce donc au final que cette entité polymorphe nommée hypnose ! ». En vérité il s’agit moins de l’hypnose en soi que de la magie de l’esprit libéré des contraintes d’une volonté d’organisation, animé par un lâcher-prise et des capacités des opérateurs thérapeutes. De fait, l’auteur ou le lecteur averti ne manquera pas de s’étonner devant une telle richesse de concepts et d’applications.
Il m’est donc apparu nécessaire de faire un bref rappel de différentes facettes de ce que nous nommons depuis James Braid l’hypnose, et qui recouvre en fait un ensemble de manifestations objectives et subjectives tellement différentes qu’elles soulignent la multiplicité des capacités de l’être conscient.

Un aperçu historique des faits et pratiques laisse clairement paraitre différentes méthodes, souvent confondues et rassemblées sous le terme générique « d’hypnotisme » ou « d’hypnose ». Non seulement ces pratiques n’ont rien en commun, mais elles ouvrent sur des manifestations psychiques différentes, alors qu’elles sont fréquemment confondues, parfois même associées : Le magnétisme , le somnambulisme provoqué et l’état d’hypervigilance propre à l’hypnose de l’hypnothérapie contemporaine. Toutes ces pratiques, il est vrai, se traduisant par la manifestation d’un état de transe, plus ou moins profond, lorsque l’être « dissocié » apparait…  

- Le magnétisme animal, ainsi nommé par Mesmer par analogie avec le magnétisme « minéral », est, et reste encore, une pratique d’induction d’un état de transe par l’application de passes à distance du corps de la personne. Les magnétiseurs parlent de fluide. Cette tradition mesmérienne évolue sous l’influence majeure de Puységur, puis de Faria.
Naissance d’une autre conception, d’une pratique différence accordant à la parole de l’être en transe une valeur thérapeutique.
Le magnétisme est dès l’origine, différent de la cure de parole, comme le souligne l’observation de la pratique ou l’analyse des objectifs : Mesmer et dans sa tradition, les magnétiseurs, soignent essentiellement des afflictions somatiques,
ils « pansent » le feu, traitent les ulcères variqueux etc. Récemment, l’un d’entre eux, Robert Gamel, a participé à une expérimentation menée auprès de patients atteints de sclérodermie dans le service de dermatologie du professeur Jean Cabane, à l’hôpital St. Antoine de Paris. C’est donc, malgré l’ostracisme du corps médical une pratique toujours d’actualité.   
- Le somnambulisme provoqué est une pratique issue du mesmérisme mais utilisée sur des sujets supposés médiums – c’est par exemple le cas d’Alexis Didier, rapporté par Bertrand Méheust – dont elle révélerait les compétences : Puységur ouvre cette voie. Il ne s’agit pas tant chez Puységur d’une technique qui serait l’ancêtre de la fameuse « talking cure », mais de la libération d’une parole inconsciente et presciente : cette parole lui semble « inspirée ». Victor s’exprime dans un langage différent, châtié, et donne des conseils sur les traitements qu’il conviendrait d’appliquer à certains des patients de Puységur. L’hypnose donne lieu, comme toutes les formes de transe, à des phénomènes éminemment subjectifs, très éloignés d’un rationalisme limité aux connaissances actuelles et pose des questions passionnantes sur la nature de l’esprit. 
- Enfin les pratiques contemporaines d’hypnothérapie exploitent la capacité de l’esprit à se dissocier, et à être très concentré sur la part imaginaire d’un vécu qui échappe au contextuel : hors temps et hors espace, c’est l’anachronisme de la temporalité psychique. Tout est possible dans cet espace-temps virtuel, en particulier une lecture de la psyché verticale et non plus horizontale, chronologique. Favoriser le processus de dissociation, explorer, suggérer des aménagements d’un voyage intérieure, et par là même de favoriser de nouvelles expériences. De plus, cette état de grande concentration se caractérise aussi par la capacité à revivre plutôt qu’à simplement se remémorer. La présence d’un facteur émotionnel est un paramètre favorable dans beaucoup de circonstances de traitement. L’exploration du vécu ou la construction de solutions nouvelles sont favorisées par une conscience qui semble en expansion, élargie, plus vaste par ses capacités.

Il faut souligner qu’il existe une différence fondamentale entre l’hypnose clinique et l’hypnose expérimentale pratiquée aux fins de recherche dans le contexte de laboratoire et d’expérimentation. Le travail clinique est soumis aux lois de la subjectivité, tandis que celles de l’objectivité sont de règle en expérimentation. L’hypnose doit dans ce cas être réduite aux champs paradigmatiques du moment ainsi qu’aux outils d’investigation neurophysiologique. Il peut alors apparaitre des divergences assez impressionnantes, vis-à-vis desquelles le chercheur et le thérapeute restent dubitatifs. Je ne citerai qu’un exemple, évocateur pour les cliniciens et impossible à considérer pour le chercheur : l’inscription et la cristallisation de souvenirs traumatiques dans le corps, autrement dit l’existence a priori d’une « mémoire corporelle ». Tous les cliniciens de l’hypnose ont l’expérience de douleurs ou de modifications de la représentation du corps fantasmatique – celui vécu par le sujet en transe – dont l’exploration aboutit à retrouver le vécu d’un trauma refoulé. Les ostéopathes connaissent également ces liens corps-esprit qui semblent totalement dénués de réalité à nos chercheurs… et en tant que manifestation subjective, impossible à reproduire en laboratoire, bien évidemment. Alors que dire de la subjectivité et de la magie de l’esprit ? Peut-être en préalable que le rationnel ne se limite pas à l’explicable… 

En matière d’hypnose, simplification et syncrétisme sont réducteur. Laissons à Messmer, sans jeu de mot, le courant magnétique, avec ses particularités et son mystère : Mesmer a soigné et guéri beaucoup de personnes, quoiqu’il se dise et sans mot dire… Laissons-lui la genèse de ce courant toujours en vogue. Octroyons à Puységur la création du « somnambulisme provoqué », avec ses attributs extraordinaires de médiumnité et un prolongement jusqu’à la cure de parole, prémices de la psychanalyse, enfin consacrons Braid et l’école américaine dans l’établissement d’une hypnose scientifique, tentant inlassablement de concilier depuis Hull et Erickson le subjectif et l’objectif, l’approche humaniste et neurophysiologique. Evitons ainsi confusions et malentendus : réalité ou mythe, science ou croyances, le réel se dérobe si souvent à qui veut le décrire. Le hanneton n’étant pas entomologiste, l’objectif est parfois – souvent – difficile à interpréter, à expliquer, impossible à penser en termes de rationalité - au sens que ce mot possède de causalité explicable, démontrable, reproductible et non falsifiable. Le thérapeute le sais, lui qui fonctionne dans la relativité de l’espace-temps, demandant à son patient d’aller à rebours, de placer une marque dans le passé, de revenir vers l’actuel, puis de retourner vers le passé – passé vivant de surcroît dans le vécu de séance de la personne ! -.
Le consensuelle d’un jour s’est souvent avéré être l’irrationnel du lendemain. Faute de paradigme, comment distinguer d’ailleurs, avec systématisme et certitude, les croyances
des connaissances ?
 
L’ensemble des communications figurant dans ce recueil furent données à l’occasion du colloque international francophone organisé par le Groupement pour l’Etude et les Applications Médicales de l’Hypnose à Paris, les dix et onze novembre 2006. Réécriture des interventions amplifiées et adaptées à la forme écrite et ajouts de textes nouveaux font de cet ouvrage un recueil passionnant autour du difficile sujet « hypnose et pensée magique, jeux d’imagination, jeux de rôles et croyances » . Nous savons que la pensée magique est un des aspects de la pensée humaine, elle joue nécessairement un rôle dans l’échange thérapeutique. L’effet placébo en est un exemple, qui comme la suggestion, joue sur l’adhésion à une croyance. Cet effet est bien sûr éminemment présent dans les pratiques utilisant l’hypnose, au point que l’Ecole de Nancy lui accordait la première place : l’hypnose n’était selon Bernheim qu’un effet de suggestion. La présence de la pensée magique est manifeste au sein même de la psychanalyse, Ferenzy, Grodeck, Théodor Reik et tant d’autres qui évoquent par exemple l’intersubjectivité mystérieuse de la situation analytique.
Freud lui-même formule des métaphores relevant de la pure magie, présentant par exemple l’Inconscient comme un espace dont la dangerosité est comparable au tumulte du centre de la Terre, ou explore le mot d’esprit à la manière d’un espace où domine l’Inconscient. La clinique de l’hypnose révèle bien davantage et depuis toujours cet aspect magique de l’Esprit éminemment présent dans toute psychothérapie : c’est entre autre la fameuse « attente croyante » définit par Freud.
Les chercheurs eux-mêmes ne fond pas l’économie de ce registre. Ernest Hilgard recours à « l’observateur caché » pour expliquer le retour des contenus physiquement douloureux à distance de l’épreuve test.
Les pratiques de psychothérapie intégrant l’hypnose fond preuve d’originalité car elles utilisent toutes, peu ou prou, la pensé magique. Ce qui pour les uns est un artéfact devient pour les autres un outil. Milton Erickson fut sans doute celui qui apporta le plus à ce registre, non seulement parce qu’il était un metteur en scène, intégrant le patient dans un scénario original dont il devenait l’acteur malgré lui, mais aussi parce qu’il avait le géni et l’intuition de métaphores créées extemporanément, entraînant le patient dans le monde magique de l’imaginaire. Et pour paraphraser Hugo : lorsque l’hypnose apparaît, le cercle des symboles applaudit à grand cris.

Nul doute que lorsque l’hypnothérapeute comportementaliste, cognitiviste ou familial ouvre le registre de l’hypnose pour travailler dans l’imaginaire, il créer avec le patient ou le groupe de patients un espace magique, qu’il le désir ou non. Dans les pages qui suivent, beaucoup d’exemples ou d’études cliniques montrent différentes approches de l’expérience intérieure .

Le plan du livre respecte une progression depuis l’historicité de l’hypnose et de la pensée magique y compris dans l’aspect philosophique à la pratique clinique en cheminant par des réflexions davantage théoriques.


Qu’il me soit permis d’introduire plus précisément un des aspects théoriques faisant de l’hypnose le paradigme du lien indissoluble entre réalité et magie, et d’introduire un ensemble de communications, dont celles de Michel Cazenave, Bertrand Méheust et Franklin Rausky.   
Michel Cazenave nous invite à réfléchir sur « la folle du logis » : la philosophie de l’image et de l’imaginaire laisse à penser que l’intuitif qui s’en nourrit ouvre sur un monde platonicien… La folie se représente-t-elle comme la complétude de la raison, la pensée magique comme la vision en miroir de la pensée logique ? Bertrand Méheust nous propose de réfléchir à la distinction fondamentale qui oppose les approches soignantes des sociétés traditionnelles de celles de nos sociétés occidentales. Au centre de la fonction et des techniques soignantes : l’Esprit.


L’Esprit n’est perçu qu’au travers de modèles, rationnels ou empiriques, scientifiques ou magiques qui ne sont que des représentations, laissant pour l’heure de côté la question de sa véritable nature. Force est de constater les limites de notre connaissance et d’admettre in fine que tout modèle qui fonctionne possède des éléments de pertinence, fut-il totalement empirique.
Voici donc : pour les uns, toutes les pensées nous appartiennent, pour les autres, certaines nous seraient étrangères… le subjectif versus l’objectif. Il est conventionnel pour les praticiens occidentaux de penser que l’Esprit est purement subjectif. Penser et étayer son art sur la conception opposée seraient faire preuve d’un retour de la pensée magique, celle qui caractérise notre enfance, et sans aucun doute celle qui prévalait chez les hommes primitifs. Et pourtant, Jung nous invite à penser que l’Esprit est, de facto, d’une double nature.
Si je dis « l’esprit du temps », ou bien  « il règne un mauvais esprit », j’accorde, au travers le langage, une certaine opposition entre un Esprit qui a une sorte d’existence extrahumaine, et quelque chose que nous ressentons comme une activité de notre ego humain  - l’Esprit cosmique opposé à la matière du cosmos - (1)
En cela, le tradithérapeute est plus ouvert, qui considère comme Esprit, sans la moindre réserve, venant du dehors, tout ce qui arrive de l’intérieur, de façon inattendue ou inopportune. L’Esprit est alors un aspect projeté de l’inconscient, en général dans un moment de bouleversement, de perte de contrôle… Si je fais quelque chose de fou, je me dirai après « où avais-je la tête, qui donc m’a ensorcelé ? ». Les projections inconscientes des membres d’un groupe sont bien à l’origine d’une « ambiance », « l’esprit du groupe » qui nous semble pourtant extérieure, alors que notre ego y participe. Le clivage du « dedans » et du « dehors » s’estompe… un pas de plus et ce peut être la dépersonnalisation, la perte du Moi au profit d’un Soi dont la nature peut-être folle ou grandiose, évoquer les enfers du monde pulsionnel de Freud ou le paradis d’Indra. Les phénomènes nés de l’activité inconsciente projetés vers l’extérieur peuvent d’ailleurs tout à fait être à l’origine de certains phénomènes parapsychologiques.
Le « Cumberlandisme » nous en donne un exemple frappant, petit jeu/démonstration du pouvoir magique de l’inconscient – jungien s’il en est – auquel Léon Chertok aimait à s’amuser avec des groupe de proches ! Comment devenons-nous magiciens ? L’appareil psychique jungien nous propose une représentation explicative de ce changement « d’être » :
« un complexe (au sens jungien du terme) autonome remplacerait temporairement le complexe de l’ego ».
Mais, fait majeur, cette faculté de l’Esprit, le plongeon dans les abysses de l’inconscient, s’avère un outil de traitement !
Nous, hypnothérapeutes, qui croyons avoir découvert quelques vérités devrions relire nos aînés : n’est-il pas frappant de s’apercevoir que l’imaginaire et la métaphore était déjà conceptualisés comme une « capacité de l’Esprit » par Jung, et qu’il nommait « l’aspect dynamique de l’inconscient ».
Voici ce qu’en exprime Marie-Louise Von Franz (2):

« Une des principales manières dont nous utilisons le mot d’esprit est de parler de l’aspect inspirant, vivifiant de l’inconscient. Nous savons maintenant que lorsque le complexe de l’ego entre en contact avec l’inconscient, cela a un effet vivifiant et c’est là qu’est vraiment la base de tous nos efforts thérapeutiques. Quelquefois, des névrosés qui se trouvent enfermés dans le cercle vicieux de leur névrose, dès qu’il vont en analyse et fond des rêves, s’intéressent à ces rêves.
Alors, l’eau de vie se remet à couler ; ils ont de nouveau un intérêt et, par conséquent, ils redeviennent soudain plus vivants et plus efficaces. A ce moment, quelqu’un peut leur dire : ‘’ Que vous est-il arrivé ? Vous êtes redevenu vivant ‘’- Mais cela ne se produit que si l’individu réussit à prendre contact avec l’inconscient ou, pourrait-on mieux dire, avec ‘’le dynamisme de l’inconscient’’, et particulièrement avec cet aspect porteur de vie qui inspire la personne ».

Il s’agit ici de l’inconscient jungien, c’est-à dire précisément de « l’Esprit » projeté sur le mode extérieur, et non le simple produit du refoulement. Cette représentation est riche pour l’hypnothérapeute, car elle crée non seulement un lien entre différentes techniques, mais au-delà, elle s’avère un formidable outil de conceptualisation !

Nous savons combien la dépressivité, l’anxiété, la dépression oblitère le champ de la vision inconsciente. Le fait de se représenter la pensée magique non comme une récurrence de la pensé primitive, mais comme un infini réservoir de possible d’un inconscient collectif, amène alors le thérapeute à déborder le simple cadre de l’utilisation de recettes métaphoriques. Pour le soigné, c’est entrouvrir la porte de l’espoir, celui de concevoir la vie comme une infinitude de possible, de renouveler la vision du monde en transcendant chaque chose si banal soit-elle. J’ai toujours été frappé par la pertinence du lien étroit et fort entre créativité et dépressivité donné par Winnicott, lien qui conforte l’idée selon laquelle il est indispensable –quelque soit la technique thérapeutique, fût-elle cognitive – de réactiver la pensée magique, source intarissable de la créativité et outil de changement.


« Dans les moments de créativité, vous ou moi trouvons que tout ce que nous faisons renforce le sentiment que nous sommes en vie, que nous sommes authentiquement nous même. Quelqu’un peut regarder un arbre (pas seulement comme une image) et regarder avec un sentiment créatif. Si jamais vous avez eu une phase dépressive du genre schizoïde, (et qui n’en a pas eu), vous devez connaître cela en négatif. Combien de fois m’a-t-on dit : « Il y a un cytise devant ma fenêtre et c’est ensoleillé et je sais intellectuellement que cela doit être une sensation intense, pour ceux qui y sont réceptifs. Mais pour moi ce matin (lundi) il n’y a là aucun sens. Je ne peux pas le ressentir. Cela me rend conscient de façon très aiguë de n’être pas réellement moi-même ». (3)

Voici bien le problème qui nous occupe : une partie du monde est au-delà du réel, du réel froid, dit objectif. L’autre partie n’aurait pas le droit de cité car participant au monde sensible, immatériel de l’Esprit. La récurrence historique du retour de la pensée magique semble bien correspondre au retour d’un refoulé chronique : celui de l’exclusion de la part provenant d’une terra incognita. Cette autre partie du monde, l’Esprit du monde, les archétypes dans la représentation de Jung, ne sont perçu que par cette part subtile de notre subjectivité, cette part de poétique qui veille en chacun d’entre nous.
A ce point nous voyons poindre les liens entre le paradigme
«  exo versus endo  » et ce que nous nommons la dissociation , en reprenant la voie inaugurée par Pierre Janet et suivit par Ernest Hilgard. Le concept de dissociation renvoie à ce fonctionnement psychique à deux niveaux, constaté dans la focalisation ou la distraction, et de façon extrême dans les transes chamaniques. Il n’est pas question de réduire les transes à la dissociation : elle ne représente qu’un préalable à l’établissement de contenus extrêmement différents ; tous les degrés de transe s’observent, de l’extase à la distraction, en passant par les transes légères des hypnothérapeutes.
Mais le fait est : le « dissocié » est un voyageur en dehors de l’espace-temps, plongé dans les affres de la pensée magique. Franklin Rausky insiste dans l’introduction qui suit sur « l’oscillation de la psychothérapie entre un pôle magique et un pôle scientifique ». Le cadavre est dans le placard, mais l’hypnose l’en fait sortir, malgré lui, malgré nous ! L’hypnothérapie n’établit-elle pas, dans le meilleur des cas, un espace partagé par le subjectif et l’objectif ? N’est-elle pas un liant possible associant ces deux pôles dans un même espace-temps, non loin du concept de «  théâtre vécu  » de Michel Leiris cité par Bertrand Hell dans les pages qui suivent ?
Du « faire comme-ci » de plusieurs auteurs à la « tour métaphorique » de François Thioly, il existe toutes sortes de voies d’ouverture sur le monde étrange, évanescent bien que tangible de la pensée magique. C’est une porte ouverte sur la créativité, indispensable à l’évolution du monde et des personnes. Nul thérapeute ne saurait l’ignorer.
Le comité scientifique du G.E.A.M.H., Christelle Mazevet et moi-même remercions l’ensemble des auteurs qui ont bien voulu nous confier leurs réflexions. Nous espérons qu’ils trouveront à la lecture de ces pages le même plaisir que nous avons eu en les redécouvrant.

(1) Marie-Louise Von Franz, La psychologie de la divination , Albin Michel, 1995, p. 22.
(2) Ibid  p. 24.
(3) Donald W. Winnicott, Home is where we start from London, Penguin Books,
1990, p. 43.